samedi 3 juillet 2010

Senpai-kohai, tuteur-padawan


先輩 Senpai, l’ainé
後輩 Kohai, le cadet

Dans les arts martiaux, l'élève ancien est là pour guider le nouveau.
La notion de senpai et de kohai dépend de l'ancienneté dans l'art, non de l'âge ni du grade, ni du talent.


Une relation forte…
Originaire des arts martiaux, la relation Senpai/kohai est encore omniprésente dans le monde de l’éducation et dans le monde professionnel. A l’école et à l’université, le senpai joue un rôle de tuteur et d’intermédiaire avec le « sensei » (professeur). Se joue entre eux une relation à la fois -très hiérarchique, par exemple le plus jeune ne nomme jamais son ainé par son nom mais en l’appelant Senpai pendant que l’autre lui parle avec un langage rude, mais aussi -très protectrice : pour Nobuyoshi Tamura, 8ème dan d’Aikido, « Le respect envers le senpai ne doit pas être provoqué, le kōhai doit tout naturellement avoir envie de respecter son senpai ».

… jusqu’à l’ambiguité
Au Japon, le culte du senpai fait que, chez les filles notamment, une admiration quasiment sans bornes peut se développer pour l’ainée, jusqu’à des sentiments un peu flous… Le shojo-ai (少女愛, amour de jeunes filles) que l’on trouve dans les shojo manga (bandes dessinées japonaises pour filles) évoque de plus en plus souvent ces amitiés ambigües entre jeunes femmes.

Cette tendance existe depuis plus de temps qu'on ne le pense, mais les relations homosexuelles étaient autrefois cachées, du fait du tabou important qui pesait sur la société japonaise bien pensante. Aujourd’hui les mangas et animes font leur choux gras de scènes de ce genre, totalement explicites.

Du mentor au réseau d’Alumni
Mais la relation senpai ne s’arrête pas à la fin de l’adolescence ou des études, elle se perpétue dans l’entreprise, où elle continue à jouer un rôle social très fort. Le jeune embauché va être pris sous la protection d’un véritable mentor, qui va l’aider dans son intégration, lui apprendre toutes les règles implicites de fonctionnement, lui faire profiter de son propre réseau social, etc...
Cela commence dès la recherche d’emploi et dans les démarches commerciales : un jeune postulant ou un commercial va toujours commencer par chercher si, dans l’entreprise cible, il ne retrouve pas un ancien camarade de classe. Certains professeurs d’Université n’hésitent pas à dire que le premier bénéfice d’une scolarité réside dans le réseau social que l’élève se constitue, ainsi que le réseau des anciens (Dososei, pour alumni) auquel il accède.
Ces relations sont également nécessaires pour accéder aux très exclusifs clubs et associations professionnelles, y compris les Kiwani ou Rotary Clubs.
Dans certaines entreprises et administrations, il est quasiment impossible d’accéder aux rangs supérieurs si vous n’êtes pas issu de la même université que la classe dirigeante (mais est-ce bien différent en France ?).

L’appartenance au groupe prime sur l’attribut
Car au Japon, le groupe social auquel la personne appartient, notamment son entreprise ou son département, prime sur la fonction qu’il occupe ou le diplôme. Par exemple il est inimaginable que deux ingénieurs, même travaillant sur un même domaine, développent des relations, s’ils appartiennent à des firmes différentes et/ou ne sont pas issus de la même école.
L’emploi là bas est l’emploi d’une personne et non d’une fonction ou d’un poste ; l’entreprise, et l’entourage attend de la personne un dévouement total, une loyauté sans limite… et en abuse d’ailleurs largement !
Les relations qui ont été construites dès l’enfance, par exemple entre deux personnes ayant suivi ensemble tout leur cycle scolaire sont de très loin les plus fortes et pérennes, pas très éloignées de relations de « frères de sang ».

Pour les étrangers qui n’ont pas suivi une partie de leurs études au Japon, l’absence de relation de ce type constitue donc une barrière quasi-infranchissable et demande, en tout cas, beaucoup de patience et d’humilité.

Mots-clés : shokaijo, entremetteur professionnel

Pendant longtemps le poids des conventions sociales, de l’étiquette, de la religion et des lois était tellement lourd que les japonais avaient développé un véritable art d’éviter toute sollicitation imprévue ou extérieure, ou responsabilité supplémentaire. On l’a dit, (cf chap. xx) dans la sphère giri ou tanin, toute nouvelle relation est considérée comme une charge de devoirs et responsabilités supplémentaires, que l’on cherche à éviter. Ce réflexe s’étendait au monde professionnel où un japonais ignorait tout simplement toute personne que se présentait à lui sans passer par un intermédiaire, appelé shokaijo. Le shokaijo non seulement permettait la mise en relation, mais faisait « hériter » à son protégé de sa propre crédibilité, -en contrepartie et pour ne pas risquer de la mettre en péril, le shokaijo prenait beaucoup de soin pour choisir ses « clients » en s’assurant de leur bonnes intentions, de leur loyauté et éthique.

Un étranger sans shokaijo était traité avec courtoisie, certes, mais avec une forte probabilité pour que rien ne se passe !

Aujourd’hui encore, même si ce trait s’est beaucoup estompé du fait du développement des relations internationales, l’une des premières réactions d’un japonais contacté spontanément sera « où avez-vous eu mon nom ? », ce qui signifie « qui vous a introduit ? »


jeudi 17 juin 2010

Sabetsu : femmes libérées ?... c'est en cours



Ci-dessous une écolière dans l'emblématique uniforme, le « sailor fuku » qui fut introduit en 1921 par la Principale de l'Université Fukuoka Jo Gakuin, une anglaise inspirée par la Royal Navy.
A droite cela pourrait être la même jeune fille quelques heures plus tard, s’affichant dans des tenues provocatrices et hyper-décadentes, dans le quartier Harakuju de Tokyo, sur le pont entre la station de métro et l’entrée du parc Yoyogi.

De l’uniforme à la goth lolita
Pendant près d’un millénaire, les japonais ont été astreints à des codes vestimentaires très stricts, selon leur classe sociale et leur métier. Sous la période des shogunats, le jour du changement de vêtements d’hiver/été était dicté sur ordonnance. Un japonais devait en tout point : vêtement, couleur et longueur des cheveux, accessoires, se confondre avec la masse : tout signe distinctif, même celui d’être trop grand, était suspect et la personne subissait des discriminations, ou pire encore, il se faisait raccourcir !
Il fallut attendre l’occupation de 1945 et l’envahissement par toute une cohorte d’occidentaux de tous poils, couleurs et (mauvaises) manières pour que le Japon sorte de ce syndrome du clonage. Cela n’étonnera personne, ce furent les femmes qui, les premières et avec une rapidité fulgurante, adoptèrent de nouveaux styles vestimentaires ; néanmoins les discriminations, notamment envers les jeunes subsistèrent très longtemps. Ce n’est que dans les années 90 que l’on vit surgir une nouvelle génération d’adolescents en rupture, compulsive, pourrait-on dire, avec cette monotonie. Sous inspiration Manga, sweet lolita, goth lolita, aristocrat lolita, metal, punk, industrial…, les styles vestimentaires les plus extravagants et provocateurs, assortis (enfin, façon de parler) à des cheveux oranges et des yeux bleus, (-ou est-ce l’inverse ?), et des accessoires dignes d’un arsenal sado-maso, côtoient les plus stricts uniformes scolaires - jupette plissée écossais et socquettes blanches.

Lolita, fantasme érotique
Mais curieusement, c’est l’écolière en uniforme qui fait des ravages, et attise tout un courant de fantasmes érotiques, appelé « rorikon » et sa contrepartie de produits marketing : Mangas, Anime, Hantaï, films et sites internet. La jeune fille est une idole « moe », symbole de la féminité, de la jeunesse et de l'innocence à qui l’on rêve de faire subir les pires sévisses ! A Tokyo, les médias racontent que de collégiennes de 15 ans fixent des rendez-vous par SMS à de vieux messieurs pour leur vendre leur culotte… Les téléphones clubs, dont on trouve les numéros sur les paquets de mouchoirs distribués dans la rue ont donné naissance à « l’enjokosai », litt. le « soutien financier à la sociabilité », rien d’autre qu’une variante sémantique et onéreuse du « plus vieux métier du monde ».

« Fleur du bureau »
Reléguées depuis des siècles à l’état de travailleuses, porteuses d’enfant quasi-esclaves, c’est pendant la période 1945-52 d’occupation, après la défaite de la dernière guerre, que les femmes ont pu changer leur statut : elles jouèrent un rôle social déterminant pendant d’Occupation, au point que l’on s’accorde à dire que, sans elles, c’eût été un désastre. Néanmoins aujourd’hui, dans beaucoup d’entreprises, le statut de la femme est encore loin du compte. Les jeunes et jolies employées, nommées jimusho no hana (litt. fleur du bureau) sont considérées comme des accessoires de décoration, fragiles, « provisoires », et corvéables… quand elles vieillissent, elles perdent tout leur charme et il est temps de les remplacer...


Dokushin, addicted à la mode
Pendant les périodes des shogunats, certaines grandes familles de commerçants amassèrent des fortunes considérables. Leur descendance vit encore aujourd’hui de cette rente, et est constituée d’une classe de « dandys », appelés Dokushin kizoku, (bachelor aristocrats) qui ne sont pas mariés et vivent encore à la maison. Les jeunes femmes de cette caste, en particulier, passent leur temps à dépenser de l’argent en shopping, voyages… sachant très bien que ces privilèges leur seront retirés dès qu’elles seront mariées. Les grandes marques aujourd’hui connaissent et soignent particulièrement ce segment de clientèle, qui représente plusieurs millions de femmes complètement addicted aux dernières tendances de la mode. Cela dit, il y a des chances pour que cette niche marketing ait été fortement affectée par la crise de 2009.

Mots-clés : Visual Kei
Le Visual Kei (ヴィジュアル系, vijuaru kei) est un genre particulier et underground du rock japonais (J-rock), apparu dans les années 1980, où l'esthétique visuelle des groupes et le concept qu'ils exploitent sont aussi importants que la musique.
Après X Japan, le fondateur, le groupe ∀NTI FEMINISM (ci-contre) est probablement le plus emblématique du genre. Le visuel du groupe passe de vestes pleines de badges dans le plus pur style punk à un style plus typé visual.
Mais la raison qui fait d'eux les préférés d'un certain nombre de fans (12-25 ans) est leur attitude : parfois sur scène, le chanteur met le feu à son bras tout en continuant à chanter. Ou alors un des musiciens saute sur une table déjà à moitié brûlée pour l'achever… des concerts en général assez « agités », on le devine.

mercredi 16 juin 2010

Le Japonisme et la mode


Images venues

du monde flottant



Koro, vase en bronze pour les bâtonnets d’encens purificateurs aux abords des temples, Kyoto


Couverture du magazine Vogue, avril 1917

Une ouverture soudaine, un engouement immédiat

Pendant près de deux siècles, de 1639 à 1868, le Japon avait pratiqué la politique du sakoku, ou « pays fermé » ; les grandes puissances maritimes (Pays-Bas, Angleterre, Portugal, Espagne) avaient tenté de percer les mystères de ce monde interdit, en vain…

Ou presque, car de temps à autres, quelques produits arrivaient en Europe, des estampes et paravents d’un imaginaire incroyable, des porcelaines et des laques d’une finesse admirable… juste assez pour attiser encore plus la curiosité.

Il fallut attendre 1867 pour que le jeune empereur Meiji, bien qu’âgé de quinze ans seulement, ait une vision d’ouverture et de modernité pour son pays.


Quand les premières images du « monde flottant » (ukio-e) furent exposées aux Expositions Universelles, l’engouement fût fulgurant dans toute l’Europe.

Edmont de Goncourt consacra une monographie au peintre Hokusai, pendant que Whistler, James Tissot, Edgar Degas, Claude Monet, Vincent Van Gogh, Toulouse-Lautrec peignaient sous l’inspiration des estampes de Yoshida Hiroshi ou de Kawase Asui.

L’influence fut également considérable du côté des arts décoratifs : porcelaine, verre, comme chez Gallée, Daum, et Lalique, sur le mobilier et sur les textiles. La littérature et la musique ne furent pas en reste, avec Madame Chrysanthème de Pierre Loti et Madame Butterfly de Puccini, pour ne citer que les plus célèbres. Ce mouvement d’influence artistique réciproque, appelé Japonisme, atteint son apogée vers 1920 avec la période Art nouveau, ou Modern Art, comme en témoigne le vase Koro de la photo ci-dessus.



La mode et la haute-couture : le rouge, le noir, puis le n'importe quoi !



En juin 2003 sur la place rouge à Moscou, quelques 250 000 coquelicots, fleur symbole de Kenzo furent plantés, puis distribués aux moscovites.

A droite une création d’Issey Miyake.




Kenzo, Miyake, les précurseurs

C’est dans les années 70 que les précurseurs arrivent sur la scène européenne ; ils puisent encore largement leur inspiration dans les vêtements traditionnels japonais, avec des tissus très hauts en couleur, gais, spontanés : C’est d’abord Kenzo Takada qui ouvre sa première galerie rue Vivienne, suivi de Issey Miyake, Hanae Mori.

Dans les années 90 les deux « poids lourds » se retirent : Kenzo cède sa marque à LVMH et Miyake à Naoki Takisawa, et délègue à Shiseido la conception des parfums.

De nouveaux talents apparaissent, plutôt portés vers des lignes sobres, plus européennes et exploitant largement le noir. C’est le cas de Rei Kawakubo avec “comme des garcons”, Yoji Yamamoto avec la marque Y’s, de Junko Shimada, Yoshiki Hishinuma, Izumi Ogino, Koji Tatsuno…

Les années 2000

voient arriver une troisième génération de créateurs japonais caractérisée par une tendance « street », très délurée, avant-gardiste, voire carrément provocatrice.

Takahiro Miyashita, par exemple, est un véritable trublion dans la scène de la mode : son label, number (N)ine, offre un mélange de créations de styles indie des années 60, de grunge, hard rock, glitter et biker et vintage.
Jun Takahashi, ancien DJ et chanteur des "Tokyo Sex Pistols", au label "undercover" se fait particulièrement remarquer par un défilé de modèles jumeaux.Difficile avec cette diversité de définir un « style japonais », mais on retrouve tout de même en commun : -une quête d’inspiration philosophique, par exemple sur la relation entre l’harmonie et la tension, entre le corps et le vêtement et -une dualité permanente entre tradition et modernité, notamment par le recours aux technologies innovantes.